Bonjour tout le monde,
décidément les rapports entre prosodie et musique me posent des questions existentielles.
Voici la dernière en date, qui me fait lever en pleine nuit :
Dans les cours, nous apprenons qu'un schème se conclue sur un posé, devant lequel nous mettons une barre de mesure. Ce qui fait qu'un schème se conclue immanquablement sur un temps fort (en l'occurrence le premier de la mesure).
Cette règle, dès lors qu'il s'agit de mettre en musique un texte français, ne pose aucun problème. En effet, les mots de cette langue, à l'exception de ceux qui se terminent par un e muet, sont toujours accentués sur la dernière syllabe... ça tombe bien !
Mais en italien, les mots sont majoritairement accentués sur l'avant-dernière syllabe (ex. : gli spaghetti, la pizza...), à l'exception des monosyllabes (il re : le roi) ou des mots portant un accent écrit sur la dernière syllabe (il caffè). Même constat en latin, où les mots sont accentués sur la pénultième, ou sur l'antépénultième, mais quasiment jamais sur la dernière syllabe.
D'où le problème suivant : comment font-ils dans la musique chantée, les italiens (et les Romains...), pour terminer leurs phrases ?
Solution 1 : ils ne les terminent pas, coupent au milieu d'un mot, et mettent des points de suspension partout. Très improbable.
Solution 2 : ils terminent toutes leurs phrases par des monosyllabes ou les quelques mots accentués sur la dernière syllabe dont ils disposent. Comme ça, ils peuvent conclure sur un temps fort en même temps qu'une syllabe accentuée, leur schème se termine bien sur un posé de début de mesure, et tout le monde est content. Peu probable.
Solution 3 : leurs schèmes ne se terminent pas nécessairement sur un posé de début de mesure, contrairement à ce qu'on a vu en cours de schème. Plus probable. Mais ce n'est pas très conclusif, non ? (Ou alors, je dis ça parce que je suis français et parle français ?)
En étant là de mes réflexions, j'ai décidé d'aller voir chez les compositeurs.
J'ai pensé au "Dies irae" dans le Requiem de Mozart. En voici le début :
Dies iræ, dies illa,
Solvet sæclum in favílla,
Teste David cum Sibýlla !
Quantus tremor est futúrus,
quando judex est ventúrus,
cuncta stricte discussúrus !
Pour l'accentuation, c'est très simple : le texte pris sur Wikipédia nous indique par des accents écrits où tombe l'accent dans les mots de plus de deux syllabes (les autres étant tous accentués sur l'avant-dernière).
Voici un lien vers une vidéo affichant la partition de ce passage :
Vidéo YouTube
A l'exception notable du "discussúrus", dont le schème se termine bien sur un posé de début de mesure (il y a sûrement là un effet particulier voulu par Mozart), toutes les autres phrases ou propositions sont mises en musiques par des schèmes se terminant sur le deuxième temps de la mesure (à supposer qu'il s'agisse d'un 2/4 à la blanche), soit le temps faible.
Donc solution 3 confirmée pour le latin.
Pour l'italien, j'ai pensé à l'air "Lascia ch'io pianga", de Haëndel.
Voici le début de la partition :
upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/41/Handel%2C_Rinaldo_Aria%2C_1876.png
Dans cet exemple, la première proposition se conclue sur le mot "sorte", accentué sur "sor". Comme chez Mozart, le schème se termine donc sur un temps faible (solution 3). Mais le dernier mot de la phrase (libertà) est accentué sur la dernière syllabe, ce qui permet à la solution 2 de s'appliquer...
D'où ma conclusion, en forme de question à Jean-Luc. Ne faudrait-il donc pas relativiser la règle vue dans les cours, selon laquelle un schème se termine sur le premier temps d'une mesure ? Est-ce que cela ne nous paraît pas naturel en raison de la langue française qui nous formate à penser ainsi ?
Même dans la musique instrumentale, il serait intéressant d'établir des statistiques, pour voir si les compositeurs dont la langue maternelle est majoritairement accentuée sur les finales (les Français, par exemple) terminent plus volontiers leurs schèmes sur des temps forts que les autres (les Italiens, par exemple)...
On peut poser la question autrement, en se demandant si le célébrissime schème répété aux mesures 6-7 et 9-11 du lien suivant aurait pu être écrit par un Français...
note4piano.com/img/art/couvertures/ebra095a.jpg